La maison aux 52 portes by Brisou-Pellen Evelyne

Auteur:Brisou-Pellen, Evelyne [Brisou-Pellen, Evelyne]
La langue: fra
Format: epub
Publié: 2017-01-11T23:00:00+00:00

CHAPITRE X

Troisième soirée. On ne parlait plus du camion de déménagement, on attendait que la pluie s’arrête. On ne savait même plus si le monde extérieur existait. Par une chance incroyable, le buffet de la cuisine regorgeait de boîtes de conserve entassées par l’oncle Albert, et la plupart étaient encore consommables. Cela nous aiderait à attendre la fin du déluge. Bien sûr, le pain nous manquait et j’aurais bien grignoté quelques fruits... Tant pis !

Enfin, disaient mes parents, ce débordement du ciel durait déjà depuis trois jours, il allait bien s’arrêter ! C’était une question d’heures, voire de minutes.

Je n’osais rien en penser.

— Eh bien, s’exclama papa en hochant la tête, le niveau du puits a dû salement monter ! On a des réserves d’eau pour dix ans !

— Le plus curieux, ajouta maman, c’est que le temps n’a pas changé d’un iota depuis la minute où nous avons posé nos sacs ici.

— Je suppose que tu parles du temps qu’il fait dehors, mais on pourrait en dire autant du temps qui passe. On dirait qu’il s’est arrêté. Tout comme cette pendule.

Mon regard revint vers les aiguilles, elles indiquaient toujours huit heures moins dix.

Le soir ne tomba pas vraiment. À un moment, nous eûmes juste l’impression qu’il faisait encore plus sombre et que, sans doute, dans un monde hors de portée de nous, le soleil s’était subrepticement couché.

À l’heure de monter dans ma chambre, je me sentis mal, un peu terrifiée, comme lorsque le médecin m’annonçait : « Je vais te faire une petite piqûre. » Je ne sais pourquoi, certaines choses m’effrayaient et d’autres pas. J’avais conscience que l’univers qui m’entourait était par moments — et par moments seulement — celui de Céleste, mais que cela ne pouvait pas tout expliquer. Par exemple, les voix dans la nuit s’adressaient-elles à Céleste l’ancienne, ou à Céleste la nouvelle ? Par exemple les draps arrachés... Est-ce que cela arrivait à Céleste ou à Maïlys ? Et puis pouvais-je être une réincarnation de la tante Céleste alors que je ne lui ressemblais pas physiquement ?

Tout en montant l’escalier à pas réticents, j’essayais de me rassurer : il ne s’était rien passé de notable la nuit précédente, mis à part l’inscription qui, bien sûr, avait disparu dans la journée. En tentant d’analyser les événements, j’avais cru comprendre que, à de courts instants, des souvenirs appartenant à Céleste me revenaient et que j’étais alors en mesure de voir ce qu’elle avait vu.

Quand j’entrai dans la chambre, je constatai effectivement que tout était normal. J’entends : conforme à la Céleste d’aujourd’hui, alias Maïlys.

Je m’assis sur le lit et essayai de rassembler les deux ou trois choses que j’avais apprises sur cette tante. Et soudain, je me posai une question essentielle : si j’étais une réincarnation de la fille d’Edmond, à quelle époque de sa vie est-ce que je me trouvais ? Parce qu’une vie, c’est long ! Étais-je Céleste à dix ans, à quinze ans, à vingt ans ?

Je me rappelais les gémissements, le désespoir dans la voix qui criait.

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